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pages qui s’élèvent presque à l’intérêt de l’histoire, comme celles qu’il consacre à Mirabeau, et que cette grande figure semble avoir illuminées de son immense reflet.

XIX

UNE VISITE À MIRABEAU

Le dialogue de Restif et de Mirabeau est un des plus curieux chapitres des Mémoires de Nicolas. L’auteur, qui avait la rage des pseudonymes, se déguise ici sous le nom de Pierre qu’il a employé déjà dans d’autres ouvrages. « En approchant de Mirabeau, dit-il, je vis un homme qui était dans un resserrement de cœur et qui avait besoin de s’épancher. » Restif lui manifesta des doutes sur la pureté de cette révolution qui avait commencé par des meurtres :

« — Réfléchi par caractère, ajouta-t-il, et courageux par réflexion, les têtes m’effrayèrent ; lorsque je rencontrai le corps de Berthier traîné par vingt-quatre polissons, je frémis, — je me tâtai pour sentir si ce n’était pas moi… Cependant, à la vue de la Bastille prise et démolie, je sentis un mouvement de joie… Je l’avais redoutée, cette terrible Bastille !

» Mirabeau en ce moment me serra la main avec transport.

» — Regarde-moi, dit-il ; toute l’énergie des Français réunis n’égale pas celle qui était dans cette tête ; mais, hélas ! elle diminue !… C’est moi qui ai fait prendre la Bastille, tuer Delaunay, Flesselles… C’est moi qui ai voulu que le roi vînt à Paris le 17 juillet : ce fut moi qui le fis garder, recevoir, applaudir ; c’est moi qui, voyant les esprits se rasseoir, fis arrêter Berthier à Compiègne par un des miens, qui le fis demander à Paris, qui, la veille de son arrivée, cherchai un vieux bouc émissaire dans Foulon, son beau-père, que je fis dévouer aux mânes du despotisme ministériel : ce fut moi qui fis porter sa tête enfourchée au-devant de son gendre, non pas pour aug-