Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/174

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où l’on a parfois jeté les yeux. Une ligne qui serait digne des classiques apparaît tout à coup au milieu du fumier comme les joyaux d’Ennius. On connaît déjà celle-ci : « Les mœurs sont un collier de perles ; ôtez le nœud, tout défile. » Veut-il peindre un homme d’un trait, le voici : « Mirabeau servait les patriotes comme Santeuil louait les saints, avec un mauvais cœur. » Quand le mot lui manque, il le crée, heureusement quelquefois. C’est ainsi qu’il parlera d’un sourire cythéréique, de la mignonnesse d’une femme… « Je chimérais, dit-il, en attendant le bonheur. »

Pour trouver dans le passé un pendant à Restif de la Bretonne, il faudrait remonter jusqu’à Cyrano de Bergerac pour l’extravagance des hypothèses, jusqu’à Furetière pour ces facéties d’analyse morale et de langage où il se complaît, jusqu’à d’Aubigné pour cette audace d’immoralité gauloise qu’il ne sut point supporter, — car, très-capable souvent d’afféterie et de recherche prétentieuse, il appliquait d’autres fois le mot propre à des détails qu’il eût mieux valu cacher. — Comme Voltaire, à l’école duquel il s’honorait d’appartenir, il haïssait les critiques, les feuillistes, et les attaquait souvent en termes peu mesurés. Il les appelle soit des malhonnêtes gens, soit des polissons cruels ; Laharpe est pour lui un stupide animal qu’il faudrait traîner dans le ruisseau ; Fréron, un faquin ; Geoffroi, un pédant. De Marsy, éditeur de l’Almanach des Muses, est une simple brute qui a lu le Paysan perverti sans en être touché. — Ceci n’approche pas encore des aménités littéraires du vieillard de Ferney, mais Restif n’avait pas le crédit qu’il fallait pour hausser le ton à ce point. Toutefois sa susceptibilité vis-à-vis de critiques qui avaient été même bienveillants pour quelques-uns de ses écrits finit par amener à son égard la conspiration du silence. Il demeura le seul à annoncer ses livres, comme depuis longtemps il était le seul à les imprimer, et comme il finit plus tard à être le seul à les vendre. Les libraires l’aimaient peu, parce qu’une fois introduit dans leurs maisons, il racontait l’histoire ga-