Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

IV

MADAME CAGLIOSTRO

Les femmes, curieuses à l’excès, ne pouvant être admises aux secrets des hommes, sollicitaient madame de Cagliostro de les initier. Elle répondit avec beaucoup de sang-froid à la duchesse de T***, chargée de faire les premières ouvertures, que dès qu’on aurait trouvé trente-six adeptes, elle commencerait son cours de magie ; le même jour, la liste fut remplie.

Les conditions préliminaires furent telles : 1° que les associées mettraient dans une caisse chacune cent louis : comme les femmes de Paris n’ont jamais le sou, cette clause fut difficile à remplir ; mais le Mont-de-Piété et quelques complaisances mirent à même d’y satisfaire ; 2° qu’à dater de ce jour jusqu’au neuvième, elles s’abstiendraient de tout commerce humain ; 3° qu’on ferait serment de se soumettre à tout ce qui serait ordonné, quoique l’ordre eût contre lui toutes les apparences.

Le 7 du mois d’août fut le grand jour. La scène se passa dans une vaste maison, rue Verte-Saint-Honoré. On s’y rendit à onze heures. En entrant dans la première salle, chaque femme était obligée de quitter sa bouffante, ses soutiens, son corps, son faux chignon, et de vêtir une lévite blanche avec une ceinture de couleur. Il y en avait six en noir, six en bleu, six en coquelicot, six en violet, six en couleur de rose, six en impossible. On leur remit à chacune un grand voile qu’elles placèrent en sautoir de gauche à droite.

Lorsqu’elles furent toutes préparées, on les fit entrer deux à deux dans un temple éclairé, garni de trente-six bergères couvertes de satin noir. Madame de Cagliostro, vêtue de blanc, était sur une espèce de trône, escortée de deux grandes figures habillées de façon qu’on ignorait si c’étaient des spectres, des hommes ou des femmes. La lumière qui éclairait cette salle