Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/251

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meil ! elle était encore si jeune, si aimante et si pure. Mais elle frappait déjà la religion sans le vouloir, comme plus tard, au jour de la Saint-Barthélemy.

Oui, l’art de la renaissance avait porté un coup mortel à l’ancien dogme et à la sainte austérité de l’Église avant que la révolution française en balayât les débris. L’allégorie succédant au mythe primitif, en a fait de même jadis des anciennes religions… Il finit toujours par se trouver un Lucien qui écrit les Dialogues des dieux, et, plus tard, un Voltaire, qui raille les dieux et Dieu lui-même.

S’il était vrai, selon l’expression d’un philosophe moderne, que la religion chrétienne n’eût guère plus d’un siècle à vivre encore, ne faudrait-il pas s’attacher avec larmes et avec prières aux pieds sanglants de ce Christ détaché de l’arbre mystique, à la robe immaculée de cette Vierge mère, — expression suprême de l’alliance antique du ciel et de la terre, — dernier baiser de l’esprit divin qui pleure et qui s’envole !

Il y a plus d’un demi-siècle déjà que cette situation fut faite aux hommes de haute intelligence et se trouva diversement résolue. Ceux de nos pères qui s’étaient dévoués avec sincérité et courage à l’émancipation de la pensée humaine se virent contraints peut-être à confondre la religion elle-même avec les institutions dont elle parait les ruines. On mit la hache au tronc de l’arbre, et le cœur pourri comme l’écorce vivace, comme les branchages touffus, refuge des oiseaux et des abeilles, comme la lambrunche obstinée qui le couvrait de ses lianes, furent tranchés en même temps, — et le tout fut jeté aux ténèbres comme le figuier inutile ; mais l’objet détruit, il reste la place, encore sacrée pour beaucoup d’hommes. C’est ce qu’avait compris jadis l’Église victorieuse, quand elle bâtissait ses basiliques et ses chapelles sur l’emplacement même des temples abolis.