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II

LA FÊTE DE L’ÊTRE SUPRÊME

Ces questions préoccupaient beaucoup, au moment le plus ardent de la révolution française, le citoyen Quintus Aucler. Ce n’était pas une âme à se contenter du mysticisme allégorique inventé par Chaumette, Hérault de Séchelles et la Revellière-Lepaux. La montagne élevée dans la nef de Notre-Dame, où était venue trôner la belle madame Momoro en déesse de la Raison, n’imposait pas plus à son imagination que ne le fit plus tard l’autel des théo-philanthropes, chargé de fruits et de verdure. Il n’eut certes aucun respect pour l’extatique Catherine Théot, ni pour dom Gerle son compère, dont Robespierre favorisait les pratiques. — Et quand ce dernier lui-même, soigneusement poudré, avec son profil en fer de hache, portant le frac bleu de Werther, sur le dos duquel ondulait sa catacoua fraîchement enrubannée ; avec son gilet de piqué à pointes, sa culotte de basin et ses bas chinés, se mit en tête d’offrir un gros bouquet à l’Être Suprême, comme un enfant timide qui célèbre la fête de son père, les vieux jacobins secouèrent la tête, la foule rit beaucoup de l’incendie manqué qui, en brûlant le voile de la statue de la déesse, l’avait rendue noire comme une Éthiopienne ; mais Quintus Aucler se sentit plein d’indignation ; il maudissait ce tribun ignorant qui ne l’avait pas consulté ; il lui aurait dit : « Quel égarement te porte à t’adresser au ciel sous ces habits et sans avoir préalablement accompli aucun des rites sacrés ? Il serait simple encore de cacher ton costume risible sous la robe des flamines ; mais as-tu seulement consulté les augures, les victimes sont-elles préparées, les poulets sacrés ont-ils mangé l’orge ? a-t-on du moins orienté avec le lituus la place où tu devais accomplir le sacrifice ? C’est ainsi qu’on s’adresse aux Dieux, qui ne dédaignent pas alors de répondre avec leur tonnerre ; tandis