Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/26

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En remarquant l’agitation qui se produisait sur la place, Spifame ne put cacher sa satisfaction.

— Ami, dit-il au poëte, tout occupé de ses chaussures qui le quittaient en route, vois comme ces bourgeois et ces chevaliers s’émeuvent déjà, comme ces visages sont enflammés d’ire, comme il vole dans la région moyenne du ciel des germes de mécontentement et de sédition ! Tiens, vois celui-ci avec sa pertuisane… Oh ! les malheureux, qui vont émouvoir des guerres civiles ! Cependant pourrai-je commander à mes arquebusiers de ménager tous ces hommes innocents aujourd’hui parce qu’ils secondent mes projets, et coupables demain parce qu’ils méconnaîtront peut-être mon autorité ?

Mobile vulgus, dit Vignet.

V

LE MARCHÉ

En jetant les yeux vers le milieu de la place, Spifame éprouva un sentiment de surprise et de colère dont Vignet lui demanda la cause.

— Ne voyez-vous pas, dit le prince irrité, ne voyez-vous pas cette lanterne de pilori qu’on a laissée au mépris de mes ordonnances. Le pilori est supprimé, monsieur, et voilà de quoi faire casser le prévôt et tous les échevins, si nous n’avions nous-même borné sur eux notre autorité royale. Mais c’est à notre peuple de Paris qu’il appartient d’en faire justice.

— Sire, observa le poëte, le populaire ne sera-t-il pas bien plus courroucé d’apprendre que les vers gravés sur cette fontaine, et qui sont du poëte du Bellay, renferment dans un seul distique deux fautes de quantité ! humida sceptra, pour l’hexamètre, ce que défend la prosodie à l’encontre d’Horatius, et une fausse césure au pentamètre.

— Holà ! cria Spifame sans se trop préoccuper de cette der-