Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/28

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— Ce sont, disait Vignet, les divines poésies traîtreusement pillées, soustraites et gâtées par Pierre de Ronsard et Mellin de Saint-Gelais.

— On tyrannise, sous notre nom, le bourgeois et le populaire…

— On imprime la Sophonisbe et la Franciade avec un privilège du roi, qu’il n’a pas signé !

— Ecoutez cette ordonnance qui supprime la gabelle, et cette autre qui anéantit la taille…

— Oyez ce sonnet en syllabes scandées à l’imitation des latins…

Mais déjà l’on n’entendait plus les paroles de Spifame et de Vignet ; les papiers répandus dans la foule et lus de groupe en groupe, excitaient une merveilleuse sympathie : c’étaient des acclamations sans fin. On finit par élever le prince et son poëte sur une sorte de pavois composé à la hâte, et l’on parla de les transporter à l’hôtel de ville, en attendant que l’on se trouvât en force suffisante pour attaquer le Louvre, que les traîtres tenaient en leur possession.

Cette émotion populaire aurait pu être poussée fort loin, si la même journée n’eût pas été justement celle où la nouvelle épouse du dauphin François, Marie d’Écosse, faisait son entrée solennelle par la porte Saint-Denis. C’est pourquoi, pendant qu’on promenait Raoul Spifame dans le marché, le vrai roi Henri deuxième passait à cheval le long des fossés de l’hôtel de Bourgogne. Au grand bruit qui se faisait non loin de là, plusieurs officiers se détachèrent et revinrent aussitôt rapporter qu’on proclamait un roi sur le carreau des halles.

— Allons à sa rencontre, dit Henri II, et, foi de gentilhomme (il jurait comme son père), si celui-ci nous vaut, nous lui offrirons le combat.

Mais, à voir les hallebardiers du cortège déboucher par les petites rues qui donnaient sur la place, la foule s’arrêta, et beaucoup fuirent tout d’abord par quelques rues détournées. C’était, en effet, un spectacle fort imposant. La maison du roi