Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/46

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de folâtrer, vint se mêler à la bande plus civilisée des pourceaux. Le jeune pâtre tressaillait à la fois d’horreur et de plaisir, car la vue de cet animal augmentait l’aspect sauvage du lieu qui avait tant de charmes pour lui. Il se garda de faire un mouvement à travers les feuilles. Un instant après, un chevreuil, puis un lièvre vinrent jouer plus loin sur une bande de gazon ; puis ce fut une huppe qui se percha dans un de ces gros poiriers dont les paysans appellent le fruit poire de miel. Le rêveur se croyait transporté dans le pays des fées ; tout à coup, parmi les broussailles, un loup montra son poil fauve et son nez pointu avec deux yeux qui brillaient comme des charbons… Les chiens qui arrivaient lui firent la chasse, et adieu tout ce qui complétait le tableau, chevreuil, lièvre et sanglier ! La huppe même, l’oiseau de Salomon, s’était envolée ; seulement, comme une fée bienfaisante, elle avait signalé l’arbre aux poires de miel, si douces et si sucrées, que les abeilles les dévorent. Nicolas emplit ses poches de ce fruit délicieux, dont, à son retour, il régala ses frères et ses sœurs.

En y réfléchissant, Nicolas se dit : « Ce vallon n’est à personne… je le prends, je m’en empare ; c’est mon petit royaume ! Il faut que j’y élève un monument pour qu’il me serve de titre, ainsi que cela s’est toujours fait selon la Bible que lit mon père. » Pendant plusieurs jours, il travailla à dresser une pyramide. Quand elle fut terminée, il lui vint à l’esprit, toujours d’après l’inspiration de la Bible, d’y faire un sacrifice dans les règles. « Un être libre comme moi, se dit-il, devant se suffire à lui-même, doit être à la fois roi, pontife, magistrat, berger, boulanger, cultivateur et chasseur. » En vertu de ces titres, il se mit en quête d’une victime, et parvint à atteindre avec sa fronde un oiseau de proie de l’espèce qu’on nomme bondrée, qu’il crut avoir condamné justement comme coupable de troubler l’innocence et la sécurité des hôtes du vallon. Peut-être sa conscience eût-elle, plus tard, trouvé à redire à ce raisonnement, quand l’étude de l’harmonie universelle lui eût appris l’utilité des êtres nuisibles. Aussi n’appuyons-nous sur