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Ou bien est-ce cela : descendre dans l’eau sale quand c’est l’eau de la vérité et ne point chasser les froides grenouilles et les chauds crapauds ?

Ou bien est-ce cela : aimer ceux qui nous méprisent et tendre la main au fantôme, quand il veut nous effrayer ?

L’esprit solide charge sur lui toutes ces lourdes choses : pareil au chameau qui court chargé dans le désert, ainsi il court dans son désert.

Mais dans le désert le plus solitaire s’accomplit la deuxième transformation : ici l’esprit se change en lion, il veut conquérir la liberté et être maître dans son propre désert.

Il cherche ici son dernier maître : il veut être son ennemi comme il est l’ennemi de son dernier dieu ; il veut lutter pour la victoire avec le grand dragon.

Quel est le grand dragon que l’esprit ne veut plus appeler ni dieu ni maître ? « Tu dois », s’appelle le grand dragon. Mais l’esprit du lion dit « je veux ».

Le « tu dois » guette au bord du chemin, étincelant d’or, comme une bête à écailles, et sur chaque écaille brille en lettres dorées : « tu dois ! »

Des valeurs de mille années brillent sur ces écailles et ainsi parle le plus puissant de tous les dragons : « toute la valeur des choses — brille sur moi. »

« Toutes les valeurs ont déjà été créées et c’est moi qui représente toutes les valeurs créées. Vraiment il ne doit plus y avoir de « je veux » ! » Ainsi parle le dragon.

Mes frères, pourquoi faut-il le lion en esprit ? La bête chargée qui renonce et qui est respectueuse ne suffit-elle pas ?