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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

fontaine, et que les chevaux hennissent par les rues grises : —

J’attends alors avec impatience que le ciel s’illumine, le ciel d’hiver à la barbe grise, le vieillard à la tête blanche, —

— le ciel d’hiver, silencieux, qui laisse parfois même le soleil dans le silence.

Est-ce de lui que j’appris les longs silences illuminés ? Ou bien est-ce de moi qu’il les a appris ? Ou bien chacun de nous les a-t-il inventés lui-même ?

Toutes les bonnes choses ont une origine multiple, — toutes les bonnes choses folâtres sautent de plaisir dans l’existence : comment ne feraient-elles cela qu’une seule fois !

Le long silence, lui aussi, est une bonne chose folâtre. Et pareil à un ciel d’hiver, mon visage est limpide et le calme est dans mes yeux : —

— comme le ciel d’hiver je cache mon soleil et mon inflexible volonté de soleil : en vérité j’ai bien appris cet art et cette malice d’hiver !

C’était mon art et ma plus chère méchanceté d’avoir appris à mon silence de ne pas se trahir par le silence.

Par le bruit des paroles et des dés je m’amuse à duper les gens solennels qui attendent : je veux que ma volonté et mon but échappent à leur sévère attention.

Afin que personne ne puisse regarder dans l’abîme de mes raisons et de ma dernière volonté, — j’ai inventé le long et clair silence.