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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

Tu n’as pas eu de chance dans ce monde, malheureux : d’abord la bête t’a mordu, puis — l’homme a marché sur toi ! » — —

Mais lorsque l’homme entendit le nom de Zarathoustra, il se transforma. « Que m’arrive-t-il donc ? s’écria-t-il, quelle autre préoccupation ai-je encore dans la vie, si ce n’est la préoccupation de cet homme unique qui est Zarathoustra, et cette bête unique qui vit du sang, la sangsue ?

C’est à cause de la sangsue que j’étais couché là, au bord du marécage, semblable à un pêcheur, et déjà mon bras étendu avait été mordu dix fois, lorsqu’une bête plus belle se mit à mordre mon sang, Zarathoustra lui-même !

Ô bonheur ! Ô miracle ! Béni soit ce jour qui m’a attiré dans ce marécage ! Bénie soit la meilleure ventouse, la plus vivante d’entre celles qui vivent aujourd’hui, bénie soit la grande sangsue des consciences, Zarathoustra ! » —

Ainsi parlait celui que Zarathoustra avait heurté ; et Zarathoustra se réjouit de ses paroles et de leur allure fine et respectueuse. « Qui es-tu ? demanda-t-il en lui tendant la main, entre nous il reste beaucoup de choses à éclaircir et à rasséréner : mais il me semble déjà que le jour se lève clair et pur. »

« Je suis le consciencieux de l’esprit, répondit celui qui était interrogé, et, dans les choses de l’esprit, il est difficile que quelqu’un s’y prenne d’une façon plus sévère, plus étroite et plus dure