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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

cette prétendue discrétion dans un cas où nul bon plaisir ne devrait régner : la raison qui connaît la loi, l’interdiction et le commandement, n’aurait pas dû laisser de choix, pense-t-on, et agir comme contrainte et puissance supérieure. Le criminel est donc puni, parce qu’il a agi sans raison, alors qu’il aurait dû agir conformément à des raisons. Mais pourquoi s’y est-il pris ainsi ? C’est précisément cela que l’on n’a plus le droit de demander : ce fut une action sans « pourquoi ? », sans motif, sans origine, quelque chose qui n’avait ni but ni raison. — Pourtant, conformément aux conditions de pénalité énoncées plus haut, on n’aurait pas non plus le droit de punir une pareille action ! Aussi ne peut-on pas faire valoir cette façon de pénalité ; il en est comme si l’on n’avait pas fait quelque chose, comme si l’on avait omis de la faire, comme si l’on n’avait pas fait usage de la raison : car, à tous égards, l’omission s’est faite sans intention ! et seules sont punissables les omissions intentionnelles de ce qui est ordonné. À vrai dire, le criminel a préféré les mauvaises raisons aux bonnes, mais sans motif et sans intention : s’il n’a pas fait usage de sa raison, ce n’était pas précisément pour ne pas en faire usage. L’hypothèse que l’on fait chez le criminel qui mérite d’être puni, l’hypothèse que c’est intentionnellement qu’il a renié sa raison, est justement supprimée si l’on admet le « libre arbitre ». Vous n’avez pas le droit de punir, vous qui êtes partisans de la doctrine du « libre arbitre », vos propres principes vous le défendent ! — Mais ces principes ne sont en somme pas autre chose qu’une