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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

de soi-même à son adversaire et pour se demander de quelle façon on pourra le toucher à l’endroit sensible. C’est le cas dans la seconde façon de vengeance : il faut envisager comme condition première la réflexion que l’on fait au sujet de la vulnérabilité et la faculté de souffrance de l’autre ; alors seulement on veut faire mal. Par contre celui qui se venge ne songe pas encore à se garantir d’un dommage futur, au point qu’il s’attire presque régulièrement un nouveau dommage, qu’il prévoit d’ailleurs souvent avec beaucoup de sang-froid. Si, à la première espèce de vengeance, c’était la peur du second coup qui rendait la riposte aussi vigoureuse que possible, nous sommes par contre maintenant en face d’une complète indifférence à l’égard de ce que l’adversaire fera encore ; la force de la riposte n’est déterminée que par ce que l’adversaire nous a déjà fait. Qu’a-t-il donc fait ? Et que nous importe qu’il souffre maintenant après que nous avons souffert par lui ? Il s’agit d’une réparation : tandis que l’acte de vengeance de la première espèce ne servait qu’à la conservation de soi. Peut-être notre adversaire nous a-t-il fait perdre notre fortune, notre rang, nos amis, nos enfants, — la vengeance ne rachète pas ces pertes, la réparation ne se rapporte qu’à une perte accessoire qui s’ajoute à toutes les pertes mentionnées. La vengeance de la réparation ne garde pas des dommages futurs, elle ne répare pas le dommage éprouvé, — sauf dans un seul cas. Lorsque notre honneur a souffert par les atteintes de l’adversaire, la vengeance est à même de le rétablir. Mais ce préjudice