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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

lui a été porté de toute façon, lorsque l’on nous a fait du mal intentionnellement : car l’adversaire à prouvé par là qu’il ne nous craignait point. Notre vengeance démontre que, nous aussi, nous ne le craignons point : c’est en cela qu’il y a compensation et réparation. (L’intention d’afficher l’absence complète de crainte va si loin, chez certaines personnes, que le danger que la vengeance pourrait leur faire courir à elles-mêmes — perte de la santé ou de la vie, ou autres dommages — est considéré par elles comme une condition essentielle de la vengeance. C’est pourquoi elles suivent le chemin du duel, bien que les tribunaux leur prêtent leur concours pour obtenir satisfaction de l’offense : cependant elles ne considèrent pas comme suffisante une réparation de leur honneur où il n’y aurait pas un danger, parce qu’une réparation sans danger ne saurait prouver qu’elles sont dépourvues de crainte.) — Dans la première espèce de vengeance c’est précisément la crainte qui effectue la riposte : ici, par contre, c’est l’absence de crainte qui veut s’affirmer par la riposte. — Rien ne semble donc plus différent que la motivation intime des deux façons d’agir désignées par le même terme de « vengeance » : et, malgré cela, il arrive très souvent que celui qui exerce la vengeance ne se rende pas exactement compte de ce qui l’a, en somme, poussé à l’action ; peut-être est-ce par crainte et par instinct de conservation qu’il a riposté, mais après coup, ayant le temps de réfléchir au point de vue de l’honneur blessé, il s’est persuadé à lui-même que c’est à cause de son honneur