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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

que tous les autres et ceux-ci pouvaient alors croire que c’était lui qui les avait fait pousser : son esprit était sans cesse aux aguets entre le clair et l’obscur, le vieux et le jeune. Partout où des passages, des renfoncements, des bouleversements indiquaient l’existence de sources intérieures, l’inquiétude du printemps l’agitait, mais lui-même n’était pas le printemps ! — Il s’en doutait bien de temps en temps et ne voulait pas se l’avouer à lui-même, lui le prêtre ambitieux qui aurait tant aimé être le pape des esprits de son temps ! Ce fut là sa souffrance : il semble longtemps avoir vécu en prétendant de plusieurs royaumes de l’esprit et même d’un empire universel et il avait ses partisans qui croyaient en lui : le jeune Gœthe était parmi eux. Mais partout où l’on finissait par distribuer véritablement des couronnes, il s’en allait les mains vides. Kant, Gœthe et ensuite les premiers véritables historiens et philologues allemands lui enlevèrent ce qu’il croyait s’être réservé, — mais sans qu’il crût parfois à cette priorité dans le silence et le secret de lui-même. C’est justement lorsqu’il doutait de lui-même qu’il aimait à se draper dans la dignité et l’enthousiasme : et ce manteau devait souvent cacher bien des choses, et aussi le duper et le consoler lui-même. Il possédait véritablement de l’enthousiasme et de l’ardeur, mais son ambition était beaucoup plus grande que tout cela. Cette ambition avivait le feu et il se mettait à flamber, à crépiter et à fumer — le style de Herder flambe, crépite et fume, — mais il désirait la grande flamme et celle-ci ne venait jamais ! Il ne pouvait s’asseoir à la