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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

propositions de paix un poids sérieux, en donnant à entendre à chacun des deux belligérants que dorénavant il ferait cause commune avec la victime de quiconque romprait la paix. On s’assembla devant lui, on mit, avec hésitation, dans sa main, les mains qui jusqu’à présent avaient été les instruments et trop souvent les causes de la haine, — et l’on fit vraiment de sérieuses tentatives pour maintenir la paix. Chacun vit avec étonnement combien son bien-être et son aisance grandissaient soudain et que l’on trouvait, chez le voisin, au lieu d’un malfaiteur perfide ou arrogant, un marchand prêt à l’achat et à la vente, il vit même que dans des cas de nécessité imprévue, on pouvait réciproquement se tirer de la détresse, au lieu d’exploiter, comme cela s’était fait jusqu’à présent, cette détresse du voisin et de la pousser à son comble si cela était possible. Il sembla même que l’espèce humaine fût depuis lors devenue plus belle dans les deux régions : car les yeux s’étaient éclairés, les fronts s’étaient débarrassés des rides et tous avaient pris confiance en l’avenir — rien n’est plus salutaire aux âmes et aux corps, chez les hommes, que cette confiance. On se revoyait tous les ans au jour de l’alliance, tant chefs que partisans, et cela en présence du médiateur, dont on admirait et vénérait la façon d’agir, plus était grand le profit qu’on lui devait. On appelait désintéressée cette façon d’agir — car l’on envisageait de trop près l’avantage personnel que l’on avait tiré de l’intervention, pour voir dans la façon d’agir du voisin autre chose que ce fait : les conditions d’existence de celui-ci ne s’étaient