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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

métier : mais le public ne possède pas de compétence rigoureuse et juge selon l’apparence. Par conséquent l’art de faire paraître, et peut-être aussi le goût, se développeront sous la domination de la concurrence, mais la qualité de tous les produits, devra s’amoindrir. Donc, pour que la raison ne perde pas sa valeur, il faudra mettre fin, un jour ou l’autre, à cette manœuvre et instituer un principe nouveau qui s’en rendra maître. Seul le chef de métier devrait juger les choses du métier et le public devrait se conformer à ce jugement, confiant en la personne et en la loyauté du juge. Alors point de travail anonyme ! Il faudrait du moins qu’un expert pût être garant de ce travail et donner son nom en gage, lorsque l’auteur est obscur ou reste ignoré. Le bon marché d’un objet trompe aussi le profane d’une autre manière, car seule la durabilité peut décider si le prix de l’objet est vraiment modique ; mais il est difficile et même impossible pour le profane d’apprécier cette durabilité. — Donc : ce qui fait de l’effet pour les yeux et ce qui est d’un prix modique l’emporte maintenant dans la balance, — et ce sera naturellement le travail de machine. D’autre part la machine, c’est-à-dire la cause de la plus grande rapidité et de la facilité dans la fabrication, favorise, elle aussi, l’objet le plus vendable : autrement on ne ferait pas avec elle un bénéfice sensible ; on l’utiliserait trop peu et elle s’arrêterait souvent. Mais, comme c’est le public qui décide de ce qui est le plus vendable, il choisira les objets de plus belle apparence, c’est-à-dire ce qui paraît