Page:Nietzsche - La Volonté de puissance, t. 2.djvu/173

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C'est une question de force (chez l'individu ou chez le peuple) que l'on se pose en se demandant si l'on se préoccupe du jugement " beau " et où l'on place ce jugement. Le sentiment de la plénitude, de la force accumulée (sentiment qui permet d'accepter bien des choses courageusement et avec une joie qui ferait trembler l'être faible) - le sentiment de puissance exprime le jugement " beau ", même au sujet d'objets et de conditions que l'instinct d'impuissance ne peut considérer que comme dignes de haine, comme " laides ". Le flair qui nous fait comprendre de quoi nous serions capables si nous avions en face de nous un danger, un problème, une tentation, - ce flair détermine aussi notre affirmation esthétique. (" Cela est beau " est une affirmation.)

Il résulte de cela, d'une façon générale, que la préférence pour les choses problématiques et terribles est un symptôme de force: tandis que le goût du joli, du gracieux, appartient aux faibles, aux délicats. Le plaisir que procure la tragédie caractérise les époques fortes et les caractères robustes: leur non plus ultra est peut-être la Divine comédie. Ce sont les esprits héroïques qui se disent oui à eux-mêmes dans la cruauté tragique: ils sont assez durs pour considérer la souffrance comme un plaisir... En admettant, par contre, que les faibles