Page:Nietzsche - La Volonté de puissance, t. 2.djvu/174

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demandent une jouissance à un art qui n'a pas été imaginé pour eux; que feront-ils pour accommoder la tragédie à leur goût ? Ils y introduiront leurs propres appréciations, leurs propres jugements de valeurs: par exemple " le triomphe de l'ordre moral " ou la théorie de " la non-valeur de l'existence ", ou bien l'invite à la " résignation " ( - ou bien encore une décharge de passion, mi-morale, mi-médicale, dans le goût d'Aristote - ). Enfin l'art du terrible, en tant qu'il irrite les nerfs, peut entrer en ligne de compte, comme stimulant chez les êtres faibles et épuisés: c'est aujourd'hui par exemple la raison pour laquelle on apprécie l'art wagnérien. Plus quelqu'un concède aux choses leur caractère terrible et problématique, plus il affirme un sentiment de bien-être et de puissance; il montre ainsi s'il a besoin de voir les choses se terminer par des solutions.

Cette façon de pessimisme artistique est exactement la contre-partie du pessimisme moral et religieux qui souffre de la " corruption " de l'homme, de l'énigme de la vie: celui-ci veut à toute force une solution, du moins un espoir de solution... Les désespérés, ceux qui souffrent et se méfient d'eux-mêmes, bref les malades, ont eu besoin, de tous temps, de visions ravissantes pour pouvoir supporter la vie (l'idée de " béatitude " a cette origine). Il y a un autre cas qui est parent de celui-ci: les artistes de la décadence, qui sont en somme des