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LE CAS WAGNER

Je ne m’arrête cette fois qu’à la question du style. — Par quoi toute décadence littéraire est-elle caractérisée ? Par le fait que la vie ne réside plus dans l’ensemble. Le mot devient souverain et fait un saut hors de la phrase, la phrase grossit et obscurcit le sens de la page, la page prend vie au dépens de l’ensemble, — l’ensemble n’est plus un ensemble. Mais c’est là le signe pour tout style de décadence ; à chaque fois anarchie des atomes, désagrégation de la volonté, « liberté de l’individu », pour parler le langage de la morale, — et pour en faire une théorie politique : « droits égaux pour tous ». La vie, la même vitalité, la vibration et l’exubérance de la vie refoulées dans les organes les plus infimes, — le reste pauvre de vie. Partout la paralysie, la fatigue, la catalepsie, ou bien l’inimitié et le chaos : l’un et l’autre sautant toujours plus aux yeux à mesure que l’on monte vers les formes supérieures de l’organisation. L’ensemble est du reste entièrement dépourvu de vie : c’est une agglomération, une addition artificielle, un composé factice. —

Chez Wagner il y a au début des phénomènes d’hallucination, non pas des tons, mais des gestes. C’est pour les gestes qu’il cherche d’abord la sémiotique musicale. Si l’on veut l’admirer c’est ici qu’il faut le voir à l’œuvre : comme il décompose, comme il sépare en petites unités, comme il anime ces unités, comme il les fait ressortir, comme il les rend visibles ! Mais à cela s’épuise sa puissance : le reste ne vaut rien. Qu’il est misérable, embarrassé et novice, son art de « développement », l’effort qu’il fait pour entre-mêler du moins ce qui n’a pas poussé