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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

comparait à la crainte du prochain. Lorsque la structure de la société parut solidement établie dans son ensemble, assurée contre les dangers extérieurs, ce fut cette crainte du prochain qui créa de nouvelles perspectives d’appréciations morales. Certains instincts forts et dangereux, tels que l’esprit d’entreprise, la folle témérité, l’esprit de vengeance, l’astuce, la rapacité, l’ambition, qui jusqu’à ce moment, au point de vue de l’utilité publique, n’avaient pas seulement été honorés — bien entendu sous d’autres noms, — mais qu’il était nécessaire de fortifier et de nourrir parce que l’on avait constamment besoin d’eux dans le péril commun, contre les ennemis communs, ces instincts ne sont plus considérés dès lors que par leur double côté dangereux, maintenant que les canaux de dérivation manquent pour eux — et peu à peu on se met à les marquer de flétrissure, à les appeler immoraux, on les abandonne à la calomnie. Maintenant les instincts et les penchants contraires ont la suprématie en morale, et l’instinct de troupeau tire progressivement ses conséquences. Quelle est la quantité de danger pour la communauté et pour l’égalité que contient une opinion, un état, un sentiment, une volonté, une prédisposition ? — c’est la perspective morale que l’on envisage maintenant. Mais là encore la crainte est la mère de la morale. Ce sont les instincts les plus élevés, les plus forts, quand ils se manifestent avec emportement, qui poussent