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NOUS AUTRES SAVANTS

tuelle envers toute chose, tout événement, l’hospitalité sereine et impartiale qu’il met à accueillir tout ce qui l’attaque, sa bienveillante indifférence, sa dangereuse insouciance du oui et du non, hélas ! toutes ces vertus, il a souvent à s’en repentir et, comme homme surtout, il devient trop aisément le caput mortuum de ces vertus. Réclame-t-on de lui de l’amour et de la haine — j’entends de l’amour et de la haine comme les comprennent Dieu, la femme et la bête, — il fera ce qui est dans son pouvoir et donnera ce qu’il peut. Mais on ne s’étonnera pas si ce n’est pas grand’chose, — s’il se montre justement ici faux, fragile, mou et incertain. Son amour est voulu, sa haine est artificielle, un pur tour de force, une petite ostentation, une légère exagération. Il n’est naturel que quand il peut être objectif : il ne reste « nature » et « naturel » que dans son totalisme serein. Son âme transparente qui se polit sans cesse ne peut plus affirmer, ne peut plus nier ; il ne commande pas ; il ne détruit pas non plus. Je ne méprise presque rien, dit-il avec Leibniz ! Qu’on remarque toute l’importance de ce presque. Il n’est pas non plus un modèle d’homme ; il ne précède ni ne suit personne ; il se tient, en général, trop loin pour avoir des raisons de prendre un parti entre le bien et le mal. Si on l’a si longtemps confondu avec le philosophe, avec l’homme violent et le créateur césarien de la culture, on lui a fait trop d’honneur et on n’a pas