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NOUS AUTRES SAVANTS

arrive à son apogée, — bref que nécessité et « liberté du vouloir » se confondent alors chez eux. Il y a enfin un ordre déterminé d’états psychiques auquel correspond une hiérarchie des problèmes ; et les plus hauts problèmes repoussent sans pitié tous ceux qui les approchent sans être prédestinés à leur solution par la hauteur et la puissance de leur spiritualité. À quoi cela sert-il, si ce sont des cerveaux universels et souples ou des intelligences de braves artisans ou d’empiriques, comme cela est si fréquent aujourd’hui, qui s’approchent de ces problèmes avec leur orgueil plébéien et se pressent en quelque sorte à cette « cour des cours » ! Mais des pieds grossiers ne doivent jamais se poser sur de semblables tapis, c’est ce qu’a prévu la loi primordiale des choses. Les portes restent fermées pour ces intrus, quand même ils s’y heurteraient et s’y briseraient la tête ! Il faut être né pour vivre dans tous les mondes supérieurs ; plus exactement, il faut être discipliné pour eux. On ne possède de droits à la philosophie — dans son sens le plus large — que par grâce de naissance ; les ancêtres, « la race » sont encore ici l’élément décisif. Beaucoup de générations doivent avoir préparé la naissance du philosophe ; chacune de ses vertus doit avoir été acquise séparément, choyée, transmise, incarnée. Il faut connaître non seulement la marche hardie, légère, délicate et rapide de ses propres pensées, mais avant tout la disposition aux grandes responsabilités, la hauteur