Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/31

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perruquier, un petit homme pâle, boutonneux, très noir de moustaches et de cheveux. Il était assis, au milieu de la boutique, sur un escabeau, en manches de chemise, les jambes croisées, les yeux mouillés d’extase ! Ah ! comme il était loin, loin de la terre, de ses contingences banales et de ses vulgaires réalités !… Et, en manœuvrant son instrument qui, entre ses doigts, se déroulait, se repliait, s’allongeait et se recourbait en mouvements annulaires comme une grosse chenille verte, il balançait, de gauche à droite et de droite à gauche, sa toute petite tête qu’amplifiait démesurément, aux tempes, et que terminait en pyramide un haut toupet frisé, au milieu duquel se plantait un peigne de corne blonde. Sa femme, les seins libres et tombants, sous une camisole d’indienne mauve, très sale, et deux vieux voisins, écoutaient, immobiles, éperdus, la gorge haletante, les dents serrées, en proie à la plus violente crise d’idéal qu’il m’eût été donné de vérifier encore… Ah ! comme ils étaient, eux aussi, loin de la terre, emportés dans un rêve de blancheurs profondes et magiques !… Les yeux au ciel, les mains à plat sur ses cuisses écartées, la femme pleurait… pleurait… des larmes surhumainement douces. Les deux vieux voisins avaient des regards fixes et tout blancs, sous les paupières presque entièrement révulsées ; une sorte de bave coulait