Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/32

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lentement du coin de leur bouche… Et aussi, pleurait, et aussi bavait, me semblait-il, une tête en carton, éclaboussée de carmin, qui, sur le comptoir, parmi des fioles, dressait la bizarre architecture d’une perruque rousse inachevée… Et dans un chevrotement indicible la grosse chenille verte, frémissant aux mains du perruquier, chantait l’air de Mignon : « Connais-tu le pays ?… » Si je note ce détail puéril, c’est que devant ce spectacle — en vérité, j’ignore pourquoi — j’éprouvai une telle tristesse que mon irritation nerveuse, aiguë jusqu’à l’insupportable douleur, se fondit… se noya, tout à coup, dans un affreux découragement… qui n’était pas sans douceur, du reste…

Je continuai mon chemin…

Sur le pas de la porte de l’auberge, et face à la porte, deux personnages, de taille exiguë, pareillement coiffés de casquettes anglaises, pareillement vêtus de vestons à larges carreaux, les jambes maigres et difformes prises dans des culottes de cheval, un pardessus mastic sur le bras attendaient, je ne sais quoi, en fumant de courtes pipes… Un gros bull-dog, au museau plissé comme la face d’un vieux juge, s’épuçait à quelques pas derrière eux.

La voix de la patronne cria de l’intérieur :

— Non… monsieur Joë… Berget n’est pas encore rentré de la foire de Thiberville… Bien sûr qu’il va rentrer dans un bel état !… Mais