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SA VIE ET SON ŒUVRE

anciennes connaissances et reposait sur l’apparence incontestable d’un cycle indéfini de transformations, se reproduisant sans commencement ni terme dans les opérations chimiques. Le rêve des alchimistes a presque duré jusqu’à la fin du xviiie siècle il ne faudrait donc pas s’étonner de la tendance d’Agrippa, imbu des doctrines médiévales, sur la puissance de la chimie.

Dans une autre hypothèse, faut-il admettre, ce qui s’accorderait bien avec d’antécédentes constatations de son génie imaginatif, qu’une nouvelle à sensation lancée adroitement par lui aurait le pouvoir, dans sa pensée intime, de secouer l’apathie du roi, d’exciter les convoitises de sa mère ? En somme, son fol espoir de fortune basé sur la pierre philosophale (ou poudre de projection) fut complètement déçu : le récipient surchauffé garda son impénétrable mystère et il dut revenir encore aux frères Bullioud, qui ne lui gardaient pas rancune de ses aigreurs à leur égard.

Thomas lui-même, qui avait joué un vilain tour à Agrippa, n’en voulait pas personnellement au malheureux philosophe, puisqu’il le recommande chaleureusement à Véran Chalendat, qui exerçait alors à Lyon les fonctions de receveur des deniers municipaux. En attendant les effets de cette recommandation, Agrippa se croit obligé d’envoyer à son ami Chapelain sa justification. Ce long factum n’apprend rien de nouveau : il prétend n’avoir point servi le Connétable[1], il rappelle avec emphase les anciens services rendus soit par lui-même, soit par ses parents, les d’Yllens, dont l’un fut tué et l’autre grièvement blessé à la bataille de Pavie. Quant à la reine-mère, elle lui suggère les souvenirs impies de Jézabel, d’Athalie et de Sémiramis. Que serait-il advenu si cette lettre était tombée aux mains de Louise de Savoie ?


XI

Enfin la fortune arrive à lui sourire, mais encore faut-il l’acheter, ce sourire, et notre Agrippa l’achète par une comédie peu délicate. La femme de Pierre Sala, le lieutenant royal, se trouvant un jour chez les Bullioud, dont elle était cousine, le trésorier lui montra quelques lettres concernant l’affaire d’Agrippa, qui lui était fort sympathique : elle s’en empara et les porta à son protégé. Dans ces

  1. Epist., IV, 62. Voir ce long document, pp. 89 et suiv. de ce volume.