Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/113

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Est-il besoin de montrer combien cette attitude diffère de l’anarchisme ?

Sans doute, en un sens, l’anarchisme procède de l’individualisme[1]. Il est en effet la révolte antisociale d’une minorité qui se sent opprimée ou désavantagée par l’ordre de choses actuel. Mais l’anarchisme ne représente que le premier moment de l’individualisme : le moment de la foi et de l’espérance, de l’action courageuse et confiante dans le succès. L’individualisme à son second moment se convertit, comme nous l’avons vu, en pessimisme social.

Le passage de la confiance à la désespérance, de l’optimisme au pessimisme est ici, en grande partie, affaire de tempérament psychologique. Il est des âmes délicates vite froissées au contact des réalités sociales et par suite promptes à la désillusion, un Vigny ou un Heine par exemple. On peut dire que ces âmes appartiennent au type psychologique qu’on a appelé sensitif. En elles le sentiment du déterminisme social, dans ce qu’il a de compressif pour l’individu, se fait particulièrement obsédant et écrasant. Mais il est d’autres âmes qui résistent aux échecs multipliés, qui méconnaissent même les leçons les plus dures de l’expérience et qui restent inébranlables dans leur foi. Ces âmes appartiennent au type actif. Telles ces âmes

  1. Nietzsche a dit en ce sens : « L’anarchisme n’est qu’un moyen d’agitation de l’individualisme » (Volonté de puissance, § 337).