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LA SENSIBILITÉ INDIVIDUALISTE.

essentiel la sensation de la fluidité, de l’instabilité de ce moi pourtant si personnel. Ceci aussi est un trait caractéristique de la sensibilité individualiste. Benjamin Constant, Stendhal sont des sensibilités frémissantes, mobiles, insaisissables pour elles-mêmes et souvent déconcertantes pour autrui[1].

Même remarque pour Amiel en qui toutefois cet impressionnisme sentimental tente souvent, sans y parvenir toujours, de se corriger de stoïcisme.

Par cet impressionnisme sentimental, l’individualiste représente le contraire de ce qu’on appelle un « caractère », « un homme à principes ». — Et comme l’intelligence a ses racines dans la sensibilité, l’intelligence de l’individualiste est, comme sa sensibilité elle-même, mobile, impressionniste, artiste, fine, capricieuse et nuancée. De là, la supériorité de l’intellectualité individualiste comparée à la pauvreté et à l’étroitesse intellectuelle souvent constatée chez les gens qu’on appelle des « caractères ». Ed. Rod note quelque part la fréquence de cette combinaison psychologique : un imbécile et un caractère.

Les deux éléments qui constituent le sentiment de l’individualité, unicité et instantanéité, semblent jusqu’à un certain point inconciliables. En effet, qui dit unicité dit constance au moins relative ; qui dit instantanéité dit fluidité, fugacité absolue. Le senti-

  1. Voir Benjamin Constant, le Cahier rouge et le Journal intime. — Stendhal, Vie de Henri Brulard et Souvenirs d’égotisme.