Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/120

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n’est pas, comme chez un Bakounine, un appel à la pandestruction. Elle est, à l’égard de la société, un simple acte de défiance et d’hostilité passive, un mélange d’indifférence et de résignation méprisante. Il ne s’agit pas pour l’individu de lutter contre la société ; car la société sera toujours la plus forte. Il faut donc lui obéir, — lui obéir comme un chien. Mais Stirner, tout en lui obéissant, garde pour elle, en guise de consolation, un immense mépris intellectuel. C’est à peu près l’attitude de Vigny vis-à-vis de la nature et de la société. « Un désespoir paisible, sans convulsions de colère et sans reproches au ciel, est la sagesse même[1]. » Et encore : « Le silence sera la meilleure critique de la vie. »

L’anarchisme est un idéalisme exaspéré et fou. L’individualisme se résume en un trait commun à Schopenhauer et à Stirner : un impitoyable réalisme. Il aboutit à ce qu’un écrivain allemand appelle une « désidéalisation » (Entidealisierung)[2] foncière de la vie et de la société. « Un idéal n’est qu’un pion », dit Stirner. — À ce point de vue, Stirner est le représentant le plus authentique de l’individualisme. Son verbe glacé saisit les âmes d’un tout autre frisson que le verbe enflammé et radieux d’un Nietzsche. Nietzsche reste un idéaliste impénitent, impérieux, violent. Il idéalise l’humanité supérieure. Stirner

  1. Vigny, Journal d’un poète, p. 32.
  2. L’expression est de M. J. Volkelt, dans son livre : A. Schopenhauer, seine Persönlichkeit, seine Lehre, sein Glaube, p. 47.