Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/15

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tient quitte de ses faveurs ; il s’en prend à lui-même de son peu d’avancement social. Cela d’ailleurs sans remords ni regrets. « J’ai vécu dix ans dans ce salon, dit Stendhal, reçu poliment, estimé, mais tous les jours moins lié, excepté avec mes amis. C’est là un des défauts de mon caractère. C’est ce défaut qui fait que je ne m’en prends pas aux hommes de mon peu d’avancement… Je suis content dans une position inférieure, admirablement content surtout quand je suis à deux cents lieues de mon chef, comme aujourd’hui[1]. » — « Je ne suis pas mouton, dit encore Stendhal, et c’est pourquoi je ne suis rien. »

La sensibilité individualiste s’accompagne d’une intellectualité hostile à toutes les doctrines d’empiètement social ; elle est antisolidariste, antidogmatique, anti-éducationniste. L’individualisme est un pessimisme social, une défiance raisonnée vis-à-vis de toute organisation sociale. L’esprit individualiste est, en face des croyances sociales, l’« Esprit qui toujours nie. » Il dirait avec le Méphistophélès du second Faust : « Laisse-moi de côté ces anciennes luttes d’esclavage et de tyrannie ! Cela m’ennuie, car à peine est-ce fini qu’ils recommencent de plus belle, et nul ne s’aperçoit qu’il est joué par Asmodée, qui se blottit derrière ! Ils se battent, dit-on, pour les droits de la liberté ; tout bien considéré, ce sont esclaves contre esclaves[2]. » Réfugié dans son scep-

  1. Souvenirs d’égotisme, Écrit de Civita Vecchia.
  2. Faust, deuxième partie, acte II.