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LA SENSIBILITÉ INDIVIDUALISTE.

lorsqu’ils approchent l’un de l’autre. » — « Quelle triste pensée ! En est-il réellement ainsi ? Doit-il en être ainsi ? Et si cela était, les amis nous seraient-ils de quelque avantage ? J’aurais pensé, moi, que l’influence des amis était exactement inverse, que la fleur s’épanouirait et que ses couleurs deviendraient plus brillantes, stimulées par la chaleur et le soleil de l’amitié. » — Il y a ici, ce nous semble, un malentendu de la part de Sir John Lubbock qui interprète mal la pensée d’Émerson. Ce malentendu résulte de ce que Sir John Lubbock ne distingue pas comme il le faudrait les effets de l’association et ceux de l’amitié. Les phrases d’Émerson, que Lubbock incrimine, ne s’appliquent nullement à l’amitié, mais à l’association, à ces « accointances superficielles » dont parle Montaigne, à ce que nous appellerons ici le groupement ou la socialité. Au contraire, Émerson a insisté plus que personne sur les différences qui séparent l’amitié de l’association. Il a montré que, si l’association est trop souvent pour l’individualité une cause d’affaiblissement, l’amitié, cette mystérieuse affinité des âmes, exalte et vivifie ce qu’il y a de plus intime et de plus précieux en elle. Autant Émerson envisage l’association sous un angle pessimiste, autant il exalte l’amitié et son action sur les âmes.

« Il est un observateur bien épais, dit-il, celui-là à qui l’expérience n’a pas appris à croire à la force et à la réalité de cette magie aussi réelle, aussi inéluctable que les lois de la chimie… Un homme fixe les yeux sur vous, et les tombes de la mémoire rendent