Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/47

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aime avec la conscience de l’égoïsme. Je les aime parce que l’amour me fait heureux, j’aime parce qu’aimer m’est naturel, me plaît. Je ne suis pas philanthrope comme le Rodolphe des Mystères de Paris, le prince philistin, magnanime et vertueux, qui rêve le supplice des méchants, parce que les méchants le révoltent[1]… »

Les êtres les plus épris d’isolement, les plus repliés sur eux-mêmes, les plus ombrageux, les plus rétifs en face du joug social, ont senti le plus vivement l’amitié. Le solitaire Obermann écrit à un ami : « Vous êtes le point où j’aime à me reposer dans l’inquiétude qui m’égare, où j’aime à revenir lorsque j’ai parcouru toutes choses et que je me suis trouvé seul dans le monde[2]. » Plus d’une fois il fait ressortir le contraste entre l’horreur que lui inspire la vie sociale et la douce intimité de l’amitié.

L’égotiste asocial ou antisocial est très capable d’amitié. Autant l’humanisme est froid, sec, indifférent ou hostile à l’individu et aux affections et aux intérêts individuels, autant l’individualisme négateur des entités sociales est affectueux, cordial, amical vis-à-vis des individus. Il ouvre les cœurs à la libre sympathie d’individu à individu qu’il place dans une sphère supérieure aux abstractions humanitaires et aux égards conventionnels de la sociabilité courante.



  1. Stirner, l’Unique et sa propriété.
  2. Obermann, Lettre IV.