Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

raient réussir à changer ce mécanisme humain qui crée, pousse, dirige, exalte les passions et détermine les torts et les vices, cause unique en définitive de ce qui se produit dans l’âme et dans le corps. »

M. R. de Gourmont fait, lui aussi, le procès de la morale. « Quelle influence peut donc avoir sur le tempérament d’une femme, sur sa nature, sur son caractère inné, un enseignement philosophique ? En quoi des phrases peuvent-elles modifier un organisme ? Les religions les plus positives, les plus catégoriques, les plus fortes n’ont jamais eu en aucun temps ni en aucun lieu une influence appréciable sur le fond des mœurs, et l’on voudrait qu’un cours d’idéalisme humanitaire eût la puissance de rendre à jamais invulnérable la sensibilité féminine[1] ! »

M. Maurice Barrès, sous le Jardin de Bérénice, oppose à la morale livresque, scolaire et pseudo-scientifique représentée par l’ingénieur Charles Martin, l’instinct sûr, délicat et charmant de Bérénice. Il importe de noter que la thèse de M. Barrès ne consiste pas à repousser la morale de la raison raisonnante comme nuisible ou dangereuse, mais, plutôt, de la montrer vaine et impuissante à modifier le sens profond de notre instinct. Dans l’évocation mélancolique qui termine le roman, M. Barrès fait parler Bérénice morte : « Il est vrai, dit-elle à son ami Philippe, que tu fus un peu grossier en désirant substituer ta conception de l’harmonie à la logique

  1. R. de Gourmont, Épilogues, 2e série, p. 41.