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LE ROMAN DU COMTE DE TOULOUSE.

belle souveraine et le brillant camérier furent-ils seulement unis par des intérêts politiques, Bernard aspirant à prendre, sous le nom du faible Louis la direction effective de l’empire, Judith ne songeant qu’à assurer au profit de son fils Charles un remaniement du partage imprudemment fait par l’empereur, avant son second mariage, entre ses trois fils du premier lit ? Ou furent-ils coupables, comme leurs ennemis, surtout Hugon et Matfrid, les en accusèrent avec passion ? Entre les assertions contradictoires des contemporains, nous n’osons pas décider : il est toujours bien difficile, pour rappeler un mot célèbre, d’être sûr de ces choses-là. Mais il est évident que les partisans de Bernard et surtout les populations qui, des deux côtés des Pyrénées, vivaient sous son autorité et lui étaient toutes dévouées, proclamèrent bien haut l’innocence de l’impératrice et traitèrent de vils calomniateurs les deux comtes Hugon et Madfrid. Le triomphe de Judith à Aix-la-Chapelle[1], la confusion de ses accusateurs, l’offre que fit Bernard, à Thionville, de combattre en champ clos ceux qui soutiendraient la calomnie, devaient bien facilement, dans l’imagination de ses fidèles, éloignés du théâtre des événements et n’en recevant que des échos altérés, se transformer en un drame autrement simple et pathétique : le comte Bernard, cachant son nom à cause de l’inimitié de l’empereur, se présentait comme champion de l’impératrice, accusée d’adultère non avec lui, mais avec un autre, recevait d’elle-même, sous le sceau sacré de la confession[2]l’attestation de son innocence, combattait seul les deux infâmes persécuteurs, tuait

  1. Judith s’était, on l’a vu, justifiée par un serment ; peut-être aussi, suivant l’usage du temps, avait-elle offert de se soumettre à une épreuve judiciaire. Une telle offre se retrouve dans plusieurs des récits apparentés au nôtre (voy. ci-dessus, p. 12, n. 1, et ci-dessous, p. 30), mais elle n’est mentionnée dans aucune des formes du nôtre ; le combat judiciaire lui-même y est imposé à l’impératrice, et non réclamé par elle.
  2. Ce joli motif de la confession d’une femme par son amant, qui acquiert ainsi la preuve de sa fidélité, peut bien avoir inspiré l’auteur de Baudouin de Sebourc, qui l’a parodié avec sa gaieté habituelle. Baudouin, déguisé en moine, pénètre dans la prison où son « amie », Blanche de Flandres, est enfermée, la confesse et apprend ainsi qu’elle n’a jamais aimé que,