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G. PARIS

comes Tolosanus et Barcinonensis ; de là le double nom de « comte Bernard de Toulouse » qui s’est conservé dans le poème anglais, et de « comte de Barcelone » qu’ont préféré, comme il était naturel, les récits catalans.

L’histoire de Bernard et de l’impératrice dut de bonne heure passer de la Catalogne dans l’Espagne plus occidentale ; car il semble bien qu’on en ait une adaptation, d’ailleurs bizarre, dans une aventure attribuée par la Crónica general d’Alfonse X à la femme et aux deux fils du roi de Navarre Sanche le Grand († 1001), et dont le récit ne doit pas être postérieur au xiie siècle[1]. Si ce rapprochement est fondé,

    reprochant d’avoir violé le lit de son maître. Or, par un jugement terrible de Dieu, dit le chroniqueur, Charles, en voulant venger celui qu’il croyait son père, tuait celui qui l’était réellement, car sa ressemblance avec Bernard disait assez de qui il était fils. Tout cela semble romanesque et peu ancien ; mais on se demande comment une pareille fable aurait été inventée quatre ou cinq siècles après l’événement. Les Annales Mettenses semblent bien dire que Charles tua réellement Bernard de sa main ; mais cela paraît déjà légendaire (voy. E. Molinier, dans la nouv. édit. de l’Hist. de Languedoc, t. I, p. 104) : courut-il alors quelque récit clandestin, — qui aurait été mis par écrit et qu’aurait connu le chroniqueur du xive siècle, — d’après lequel, en tuant Bernard, Charles avait tué son père ? Il est certain que les anciens bruits répandus sur la liaison de Bernard avec Judith devaient faire naître un tel soupçon.

  1. Les deux accusateurs sont ici les propres fils de la reine, qui la calomnient parce qu’elle a refusé de livrer à l’aîné un cheval incomparable dont le roi lui avait donné la garde. Elle est enfermée et doit périr s’il ne se rencontre pas un chevalier qui combatte seul les deux infants. Personne n’ose se présenter excepté Ramire, leur frère bâtard. Au moment du combat survient un saint moine du couvent de Nájera, et les infants lui révèlent en confession l’innocence de leur mère. Celle-ci est délivrée et obtient du roi qu’il pardonne à ses fils, mais à condition que Fernand, le second, moins coupable que l’aîné, aura, au détriment de son frère, le royaume de Castille dont sa mère est héritière. — Ce petit roman, inséré dans la Crónica general d’Alfonse X (fº 93–94 de l’édition), a visiblement pour but d’expliquer comment, en effet, ce fut Fernand et non Garcia, le fils aîné, qui hérita de la Castille (voy. Milá y Fontanals, De la poesia heroico-popular castellana, p. 201) ; mais la circonstance que les accusateurs sont au nombre de deux et doivent être combattus par un seul champion, ainsi que l’intervention d’un moine et la confession (bien que présentées tout autrement), semble bien le dénoncer comme une adaptation de notre thème, sans doute à travers la transmission orale.