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G. PARIS

dont la perte est des plus regrettables et auquel remontent, nous l’avons vu, directement le poème anglais et indirectement les imitations faites en France, en Allemagne, en Danemark et en Italie (groupe III). La dernière, celle de Bandello, est la plus altérée et peut-être la moins bonne ; elle a toutefois un certain intérêt pour l’histoire littéraire. Adaptée, en 1713, au goût du temps par Mme de Fontaines, elle ravit le jeune Arouet, et il en tira plus tard l’inspiration de sa tragédie de Tancrède, qui fut un de ses plus brillants succès, se maintint longtemps au répertoire, et peut être regardée comme un des prototypes du drame romantique. Ainsi la ramification légendaire qui s’était jadis étendue sur toute l’Europe a poussé une dernière branche jusque dans la littérature presque contemporaine.


La souche qui a produit cette végétation riche et vivace paraît bien avoir ses racines dans la terre méridionale où Bernard donna le spectacle de son existence tumultueuse et féconde en péripéties[1]. Le grand duc de Toulouse, Guillaume,

  1. Déjà Wolf (Ueber die Lais, p. 217) avait regardé comme probable que le poème anglais du Comte de Toulouse (ou sans doute plutôt son original français ?) avait une source provençale (laquelle elle-même remonterait à un lai breton, voy. ci-dessus, p. 7, n. 2). C’est le nom donné au héros dans cette version qui lui avait inspiré cette idée. M. Suchier croit que nous possédons peut-être un fragment du roman provençal de Bernard de Toulouse dans un morceau de soixante-douze vers qu’il a imprimé (Denkmæler de provenzalischen Literatur und Sprache, I, Halle, 1883, p. 309 ; cf. p. 552) d’après un manuscrit de Cheltenham. C’est une partie d’un entretien entre un comte et une reine (et non impératrice), véritable flirt où le comte fait valoir ses droits à l’amour de la reine, tandis que celle-ci se défend de manière à ne pas le décourager. Le comte rappelle qu’il est venu jeune à la cour de la reine, abandonnant son pays et ses parents, et que cela a causé son malheur, en lui faisant concevoir pour la reine un amour qu’elle ne veut pas partager. La forme est celle de vers décasyllabiques groupés en laisses monorimes (les soixante-douze vers conservés riment en at) ; or il est probable que le poème français qu’a suivi le roman anglais du Comte de Toulouse, étant appelé « lai de Bretagne », était en vert de huit syllabes rimant deux à deux. Il n’y a pas dans la situation des rapports assez frappants pour que l’identification proposée paraisse très vraisemblable, et le ton léger de l’entretien ne me semble convenir à au-