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SUR LES PASSIONS DE L'AMOUR.

dans son cœur. Quelle joie de la retrouver ! L’on sent aussitôt une cessation d’inquiétudes. Il faut pourtant que cet amour soit déjà bien avancé ; car quand il est naissant et que l’on n’a fait aucun progrès, on sent bien une cessation d’inquiétudes, mais il en survient d’autres.

Quoique les maux succèdent ainsi les uns aux autres, on ne laisse pas de souhaiter la présence de sa maîtresse par l’espérance de moins souffrir ; cependant quand on la voit, on croit souffrir plus qu’auparavant. Les maux passés ne frappent plus, les présents touchent, et c’est sur ce qui touche que l’on juge. Un amant dans cet état n’est-il pas digne de compassion ?

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LETTRE


SUR LA POSSIBILITÉ D'ACCOMPLIR LES COMMANDEMENTS DE DIEU.


1.

Je n'ai ni loisir, ni livres, ni suffisance pour répondre aussi exactement que je voudrois : je le ferai néanmoins suivant ce que je puis maintenant, afin que, voyant par écrit des choses que je vous ai souvent dites, elles fassent plus d'impression sur vous, sans que vous ayez besoin que je vous les répète.

Vous me demandez que je réponde à ces paroles du chapitre XI de la session VI du concile de Trente, que les « commandemens ne sont pas impossibles aux justes. » Je vais vous satisfaire selon mon pouvoir.

Cette proposition : « les commandemens sont possibles aux justes, » a deux sens tout différens et éloignés l'un de l'autre. Ce n'est pas ici une distinction d'école ; elle est solide, réelle, et dans la nature de la chose, et dans les termes du concile.

Le premier sens qui s'offre d'abord, et que vous croyez être celui du concile en cet endroit (ce que vous verrez bien ne pas être vrai), est que le juste, considéré en un instant dans sa justice, a toujours le pouvoir prochain[1] d'accomplir les commandemens dans l'instant suivant : ce qui est un reste de l'opinion des pélagiens, que l’Église a toujours combattue, et particulièrement dans ce concile ; parce qu'il supposeroit que le juste n'a pas besoin, à chaque instant, d'un secours spécial pour agir.

L'autre sens, qui ne s'offre pas avec tant de promptitude et qui est néanmoins celui du concile en cet endroit, est que le juste, agissant comme juste et par un mouvement de charité, peut accomplir les commendemens dans l'action qu'il fait par charité. Je sais bien qu'il y a si peu de lieu de douter que ces actions faites par charité ne soient conformes aux préceptes, que l'on a peine à croire que le concile ait voulu définir une chose si claire : mais quand vous penserez que les luthériens soutenoient formellement que les actions des justes, même fait par la charité, sont nécessairement toujours des péchés, et que la concu-

  1. On appelle pouvoir prochain celui auquel ne manque aucune des conditions nécessaires à son exercice.