Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/402

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du génie ; qu’il s’était passé ce jour là dans sa tête quelque chose d’extraordinaire ; qu’il avait peut-être été choisi pour on ne sait pas bien quoi ; par un décret nominatif ; en tout cas pour quelque chose de sérieux ; pour quelque chose d’unique ; pour quelque chose de grand ; et sûrement pour quelque chose de réussi ; pour une unique, pour une grande, pour une sérieuse réussite ; qu’il fallait en profiter ; que c’était toujours ça de pris ; que ce jour là il atteignait un faîte ; qu’il n’eût peut-être pas, certainement pas atteint tout seul ; que de pareils bonheurs n’arrivent pas toujours ; qu’ils n’arrivent peut-être même qu’une fois ; qu’ils n’arrivent peut-être même jamais ; qu’il faut donc en profiter et s’en donner ; qu’ensuite on verra bien ; qu’après on ne sait pas ce qui peut arriver ; qu’après on ne sait pas de quoi la vie est faite : je n’en veux pour preuve, je n’en veux pour signature. Je n’en veux pour preuve que cet orgueil païen, dont ce poème est plein, dont ce poème déborde, dont ce poème regorge, cette aisance, cette plénitude charnelle, ce jeu, cette sorte d’amusement, ce défi constant dans l’expression même. Jamais un fleuve ne s’était autant amusé. Jamais autant il n’avait été un fleuve aux flancs pleins. Cette sorte d’impudence et de gouvernement et de hauteur dans l’aisance. Et je n’en veux pour signature que ce Jérimadeth même, cette blague énorme, cette insolence admirable ; cette signification faite à tous, présents et à venir, que cette fois il était entré dans la plénitude et dans les droits de la création. Jusqu’à ce qu’on m’ait montré Jérimadeth sur une carte dans un atlas authentique de la Terre Sainte, je vois dans la forgerie de ce nom une de ces insolences, une de ces significations, une de ces audaces