Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire contemporain, 1908.djvu/188

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seulement sa tristesse hautaine, mais, plus d’une fois, les angoisses et les révoltes de son cœur. L’auteur des Trophées, lui, est absolument impersonnel. Tout ce que nous en connaissons, c’est la précision de son regard et la sûreté de sa main. Nulle sympathie, chez ce pur artiste, nulle inquiétude, nul émoi ; rien qui puisse rendre moins sûre sa main et moins précis son regard. Il est sensible à la seule beauté des choses. Absent de ses vers, il ne s’y trahit même pas par le choix des rythmes, puisque son œuvre consiste tout entière en sonnets. D’autres poètes furent des peintres, d’autres sont des musiciens ; M. de Heredia est un sculpteur.

Puis, l’exactitude scientifique, qui suppose d’ailleurs l’impersonnalité. Déjà Leconte de Lisle avait été beaucoup plus exact que Victor Hugo, comme il avait été beaucoup plus impersonnel. M. de Heredia, s’il n’est pas plus exact que Leconte de Lisle, est d’une exactitude plus étroite. On sait qu’il suivit les cours de l’École des chartes. Brillante et fastueuse, sa poésie dénote pourtant, sous le poète, un philologue, un épigraphiste, un mythologue. Il a étudié en patient érudit les diverses formes de civilisation que son art précis résume en quelques vers. Aucun détail chez lui qui ne soit fidèle et caractéristique. On trouverait encore dans Leconte de Lisle quelques traits de couleur locale, non pas faux peut-être, mais choisis en vue de l’effet pittoresque plutôt que pour leur valeur historiquement significative. Chez M. de Heredia, tous sont utiles, sont nécessaires à la signification historique du tableau. Si vrai-