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chaque phase de toute évolution. Et sans doute le génie de Victor Hugo put fixer pour un temps certaines formes rythmiques. Il en est de la prosodie comme de la langue. C’est aux belles œuvres, disait Montaigne, de « clouer la langue à soi ». Mais, si les œuvres du XVIIe siècle fixèrent dans une certaine mesure notre vocabulaire et notre grammaire, ils n’ont pourtant pas cessé, même apris Corneille et Pascal, de subir des modifications. Comme une langue, une métrique évolue sans cesse. La métrique de Victor Hugo n’est point la même que celle du classicisme ; pourquoi ferait-elle désormais loi ? D’abord, le développement du sens rythmique permet, ainsi que nous l’avons dit, l’usage de rythmes plus complexes. Ensuite, les anciens rythmes, auxquels notre oreille est habituée, perdent par là même leur vertu significative. Et enfin, et surtout, il faut bien qu’une école nouvelle approprie ses moyens d’expression à sa poétique[1].

Remarquons d’ailleurs que les symbolistes n’écrivent pas toujours en vers libres[2]. Quelques-uns ont même écrit, quand ils traitaient tels ou tels genres, en vers aussi exactement rythmés et rimes que ceux des parnassiens. Il ne s’agit point d’abolir toute notre

  1. « Ce fameux vers brisé, déclarait Victor Hugo en 1843, ce vers qu’on a pris pour la négation de l’art, en est au contraire le complément. Le vers brisé a mille ressources, aussi a-t-il mille secrets… Le vers brisé est un peu plus difficile à faire que l’autre vers… Il y a une foule de règles dans cette prétendue violation de la règle… Ce qui est vrai pour nous, poètes, va devenir vrai pour tous les lecteurs, faire un jour partie de la loi littéraire. » (Correspondance.) — On peut en dire autant de maintes innovations symbolistes.
  2. Pas plus que Victor Hugo n’écrit toujours en vers brisés.