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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

Continue donc d’être attentif comme auparavant ; quoi que tu fasses, fais-le dans la pensée d’être homme de bien et conformément à l’idée exacte de l’homme de bien. Observe cette règle en tous tes actes[1].

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Si tu reçois une offense, ne la juge pas comme celui qui te l’a faite, ni comme il veut que tu la juges ; considère-la telle qu’elle est en réalité.

12

Il faut toujours te tenir prêt à deux choses : d’abord, à ne faire que ce qui t’est suggéré, pour le bien des hommes, par la raison, notre reine et notre loi[2] ; ensuite, à changer d’avis

  1. [Var. : « mets toute ton énergie à observer cette règle. » — Cette traduction donne à la préposition ὲπὶ une acception insolite. Le mot ὲνέργεια, 18 fois employé dans les Pensées (d’après l’Index de Stich), n’y a que trois fois (V, 35 ; VI, 59 ; IX, 3) — quatre, si l’on compte ce passage — le sens d’« action ».]
  2. [Var. : « qui règne sur nous et nous impose sa loi. » — De quelque façon qu’on la traduise, cette périphrase est évidemment synonyme du mot ήγεμονικὸν (principe directeur), si familier aux Stoïciens. Bien d’autres textes des Pensées attestent l’équivalence des termes ήγεμονικὸν et λόγος (cf. infra IX, 22, et la seconde note) : il convient d’observer, cependant, que la raison qui nous dirige ne se distingue pas de notre liberté (VI, 8 ; XI, 20, etc.), — en d’autres termes, qu’elle est autonome.

    Je rejette comme trop subtile et équivoque une interprétation de ce passage indiquée par M. Stich dans l’Index qui termine son édition des Pensées : βασιλικὴ nous y est présenté comme un ἄπαξ εὶρημένον, comme le nom d’un art ou d’une science pratique, apparentée, je suppose, à la logique et à l’éthique. Je sais bien que le mot τέχνη est généralement omis à côté des adjectifs en –ικός ; je sais aussi qu’on rencontre dans Marc-Aurèle (VI, 35) l’expression λόγος τῆς τέχνης. Mais quel serait cet art dont Marc-Aurèle ne veut pas oublier les règles fondamentales ? L’art de se gouverner et de se donner des lois, ou l’art de gouverner et de donner des lois ? La philosophie ou la politique, une certaine politique à l’usage des empereurs ? De ces deux interprétations, la seconde est la seule qui laisse aux mots leur sens propre ; mais de ces deux arts le premier renferme l’autre et c’est, à vrai dire, le seul qui compte pour Marc-Aurèle (cf. infra IV, 31, la note au mot τεχνίον).

    C’est δύναμις que je n’hésite pas à sous-entendre ici, bien que Marc-Aurèle, pour désigner une fonction de l’âme vivante (VI, 15 : ἀναπνευστικὴ δύναμις, la respiration) ou une faculté de l’âme raisonnable (III, 9 : ύποληπτικὴ δύναμις, le jugement), exprime à l’ordinaire ce mot, et, lorsqu’il ne l’exprime pas, n’emploie jamais qu’au neutre (IV, 22 : τὸ καταληπτικόν, — VIII, 56 : τὸ προαιρετικόν, — et partout τὸ ἡγεμονικόν) l’adjectif qui l’eût accompagné. Ceci admis, on peut proposer l’expression ό τῆς βασιλικῆς καὶ νομοθετικῆς λόγος comme un exemple de syntaxe curieuse et rare. Le rapport que marque le génitif entre νομοθετικῆς et λόγος est un rapport d’identité. Nous avons vu plus haut (IV, 4, note 2) Marc-Aurèle, dans la même pensée où il proclame l’unité de la raison, de la loi et de la cité, distinguer la raison en tant qu’elle définit l’homme, et la raison en tant qu’elle le gouverne : dans la première acception, elle n’est encore que la raison et ne s’appelle que raison ; dans la seconde, elle est déjà notre raison et se nomme aussi le principe directeur (νοῦς ἠγεμών, III, 16 ; ἡγεμονικόν, partout), ou législateur et souverain de chacun de nous. Ici, sans doute, les mots βασιλικῆς καὶ νομοθετικῆς définissent le rôle du λόγος, et nous entendons