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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

dans l’âme du prochain, courir en suivant la ligne droite, sans dévier[1].

19 et 20

Celui qu’exalte l’idée d’être célébré par la postérité ne se figure pas que chacun de ceux qui se souviendront de lui mourra lui-même bientôt, puis celui qui les remplacera, et ainsi de suite, jusqu’à ce que tout souvenir s’éteigne en passant par ces âmes d’hommes allumées puis éteintes[2]. Suppose même que ceux qui se souviendront de toi soient immortels et qu’immortelle aussi soit ta mémoire, en quoi cela te touche-t-il ? Je ne dis pas seulement que cela ne peut être rien pour un mort ; mais qu’est-ce que la louange, même pour un vivant, à moins qu’il n’en compte tirer parti ? Pour elle, tu négliges bien à tort le don même que t’a fait la nature. Tu vas le voir en t’attachant à un autre argument[3].

    des pages suivantes où il était en rubrique, et tirer un sens des lettres qui dans la vulgate précèdent le mot μή.

    Les autres textes de Marc-Aurèle qui développent la même idée ne paraissent pas indiquer la restitution plausible de celui-ci. Le verbe περιϐλέπεσθαι est encore employé trois fois dans les Pensées (V, 3 ; VII, 55 ; IX, 29), — les deux premières avec un complément : ἃ (ἡγεμονικά) σὺ μὴ περιϐλέπου, ἀλλ′ εὐθεῖαν πέραινε…μὴ περιϐλέπου ἀλλότρια ἡγεμονικά, ἀλλὰ… βλέπε κατ′ εὐθύ… Ces deux textes se ressemblent fort : il y a là comme une formule qu’on voudrait pouvoir adapter à la présente pensée ; τρέχειν ὀρθὸν y correspond déjà à εὐθεῖαν πέραινε. — Tout ce que j’ai pu tirer de ces indications, en exploitant l’idée de M. Stich, c’est la lecture : μὴ γὰρ τὰ τῶν ἄλλων ἡγεμονικά περιϐλέπεσθαι, qui ne rappelle que par les mots τὰ τῶν ἄλλων (ΑΛΛΟΟΝ = ΑΓΑΘΟΝ) la leçon des manuscrits. Je n’avais pas le droit de m’y attarder.

    Je propose d’écrire ici : ἧ κάρτα τόδ′ ἀγαθὸν μὴ [τὸ τοῦ] πέλας ἧθος περιϐλέπεσθαι. Dans une ligne piquée des insectes il était facile à un scribe de lire κατὰ pour κάρτα, plus loin Ν pour Δ, plus loin Π pour Μ et {{lang|grc|πέλας} pour μέλαν. D’autre part, les lacunes sont fréquentes dans les manuscrits de Marc-Aurèle (cf. un peu plus haut les pensées IV, 5, et IV, 9, — sans parler de la ligne ici même omise par A), et l’on n’hésiterait pas, si l’on n’avait à restituer ici que les deux articles τὸ τοῦ. Ce qui pourra paraître étrange, c’est la rencontre en une même ligne de deux séries de fautes qui s’expliquent différemment. La même difficulté s’est présentée pour M. Couat, à la fin de la pensée suivante. En lui empruntant son procédé de correction, j’invoque la même excuse.]

  1. [Couat : « sans dévier de côté et d’autre. »]
  2. [Couat : « par la mémoire de ces hommes qui apparaissent et disparaissent. » — J’ai adopté, après Pierron, et traduit littéralement la conjecture de Schultz : άπρομένων. Les manuscrits donnaient ἐπροημένων. Ce mot, dont diffère à peine la lecture de Schultz, vient de la première phrase, et ici ne signifie rien. Le verbe deux fois exprimé « s’éteindre » n’est qu’une métaphore quand c’est du souvenir qu’il s’agit. Appliqué à l’âme, peut-être contient-il plus qu’une métaphore : une théorie philosophique de la destinée humaine (cf. infra IV, 21, notes).]
  3. Toute la phrase « πάρες γὰρ… τὸ λοιπόν » semble d’abord inintelligible, et elle l’est, en effet, si on ne la rattache pas au paragraphe suivant. Mais il suffit de faire un seul développement avec les deux articles 19 et 20, et de relier la phrase πάρες γὰρ à la suivante, pour obtenir, avec de légères corrections, un sens possible. L’auteur veut