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la guerre des boutons


Et les quarante gaillards, alignés sur leurs sièges, les jambes serrées, les genoux à angle droit comme des statues égyptiennes, le quignon de pain au poing, attendirent la distribution.

Elle se fit dans un religieux silence : les derniers servis lorgnaient les boules grises dont la chair d’une blancheur mate fumait en épandant un bon parfum sain et vigoureux qui aiguisait les appétits.

On éventrait la croûte, on mordait à même, on se brûlait, on se retirait vivement et la pomme de terre roulait quelquefois sur les genoux où une main leste la rattrapait à temps ; c’était si bon ! et l’on riait, et l’on se regardait, et une contagion de joie les secouait tous, et les langues commençaient à se délier.

De temps en temps on allait boire à l’arrosoir.

Le buveur ajustait sa bouche comme un suçoir au goulot de fer-blanc, aspirait un bon coup et, la bouche pleine et les joues gonflées, avalait tout, hoquetant sa gorgée ou recrachait l’eau en gerbe, en éclatant de rire sous les lazzi des camarades.

– Boira ! boira pas ! parie que si ! parie que ni !

C’était le tour des sardines.

La Crique, religieusement, avait partagé chaque poisson en quatre ; il avait opéré avec tout le soin et la précision désirables, afin que les fractions ne s’émiettassent point et il s’occupait à remettre à chacun la part qui lui revenait. Délicatement, avec le