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la guerre des boutons


il prenait dans la boîte que portait Tintin et mettait sur le pain de chacun la portion légale. Il avait l’air d’un prêtre faisant communier les fidèles.

Pas un ne toucha à son morceau avant que tous ne fussent servis : Tigibus, comme il était convenu, eut la boîte avec l’huile ainsi que quelques petits bouts de peau qui nageaient dedans.

Il n’y en avait pas gros, mais c’était du bon ! Il fallait en jouir. Et tous flairaient, reniflaient, palpaient, léchaient le morceau qu’ils avaient sur leur pain, se félicitant de l’aubaine, se réjouissant au plaisir qu’ils allaient prendre à le mastiquer, s’attristant à penser que cela durerait si peu de temps. Un coup d’engouloir et tout serait fini ! Pas un ne se décidait à attaquer franchement. C’était si minime. Il fallait jouir, jouir, et l’on jouissait par les yeux, par les mains, par le bout de la langue, par le nez, par le nez surtout, jusqu’au moment où Tigibus, qui pompait, torchait, épongeait son reste de « sauce » avec de la mie de pain fraîche, leur demanda ironiquement s’ils voulaient faire des reliques de leur poisson, qu’ils n’avaient dans ce cas qu’à porter leurs morceaux au curé pour qu’il pût les joindre aux os de lapins qu’il faisait baiser aux vieilles gribiches en leur disant : « Passe tes cornes[1] ! »

  1. Sans doute Pax tecum !