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devers le fleuve, tirant en bas entre le ruel[1] et le fleuve, nous vismes que le Roy s’estoit retiré ou haut du fleuve, et que les Turcs en emmenoient les autres batailles. Et se assemblerent toutes leurs batailles avecques les batailles du Roy sur le fleuve, et là y eut piteuse desconvenuë ; car la pluspart de noz gens, qui se trouvoient des plus febles, cuidoient passer à nous devers l’ost où estoit le duc de Bourgoigne. Mais il n’estoit possible, car leurs chevaulx estoient si las et travaillez, et faisoit une chaleur extreme. Et en descendant à val le fleuve[2], nous voions l’eauë toute couverte de picques, lances, escuz, gens et chevaulx qui perissoient et noioient. Quant nous vismes la fortune, et le piteux estat qui couroit sus nos gens, je commençay à dire au connestable que nous demourasson deça le fleuve, pour garder à ung poncel[3] qui estoit illecques prés. « Car si nous le laissons, lui fis-je, ilz viendront charger sur le Roy par deçà : et si noz gens sont assailliz par deux lieux, nous pourrons trop avoir du pire. » Et ainsi demourasmes nous. Et soiez certains que le bon Roy fist celle journée des plus grans faiz d’armes que j’amais j’aye veu faire en toutes les batailles où je fu oncq. Et dit-on que, si n’eust esté sa personne, en celle journée nous eussions esté tous perduz et destruiz. Mais je croy que la vertu et puissance qu’il avoit luy doubla lors de moitié par la puissance de Dieu ; car il se boutoit ou meilleu, là où il veoit ses gens en destresse, et donnoit de masses et d’espée des grans coups à merveilles. Et me conterent ung jour le sire de Cour-

  1. Ruel : chemin.
  2. A val le fleuve : en bas vers le fleuve.
  3. Poncel : petit pont, bac.