Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 1re série, tome 2.djvu/272

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Après ces deux batailles dont je vous ay devant parlé, qui furent grandes et fortes à merveilles, l’une le mardi de caresmentrant, et le premier vendredi de caresme, commença à venir en nostre ost ung autre tres-grant meschief. Car au bout de neuf ou dix jours les gens qui avoient esté occis et tuez en celles batailles sur la rive du fleuve qui estoit entre noz deux ostz, et qu’on avoit gectez dedans, tous se leverent sur l’eauë. Et disoit-on que c’estoit aprés ce qu'ilz avoient le fiel crevé et pourry. Et descendirent cesdiz corps mors aval[1] dudit fleuve, jusques au poncel qui estoit à travers dudit fleuve, par où nous passions de l’une part à l’autre. Et pour ce que l’eauë, qui estoit grande, toucheoit et joignoit à icelui pont, les corps ne povoient passer. Et en y avoit tant que la riviere en estoit si couverte de l’une rive jusques à l’autre, que l’on ne veoit point l’eauë, et bien le gect d’une petite pierre contremont ledit poncel. Et loüa le Roy cent hommes de travail, qui furent bien huit jours à séparer les corps des Sarrazins d’avecques les Chrestiens, que on congnoissoit assez les ungs d’avecques les autres. Et faisoient passer les Sarrazins à force oultre le pont, et s’en alloient aval jusques en la mer : et les Chrestiens faisoit mettre en grans fosses en terre, les uns sur les autres. Dieux sache quelle puanteur, et quelle pitié de congnoistre les grans personnages, et tant de gens de bien qui y estoient ! Je y vis le chambellan de feu monseigneur le conte d’Arthois, qui cerchoit le corps de son maistre : et moult d’autres querans leurs amys entre les morts. Mais oncques depuis ne ouy dire, que de ceulx qui estoient là re-

  1. Aval: en bas.