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introduction

devinent des élans passionnés ; où éclate la joie de vivre, de combattre et de vaincre dans la gloire du jour.

Tout devient image et forme chez ces êtres primitifs, si près de la réalité, en dépit de leurs exploits légendaires : Beowulf, mourant, se rassasie de la vue des trésors qu’il va quitter ; les glaives mordent, les vautours chantent le lai de la bataille ; le cor appelle les guerriers, et le héros visionnaire compare la porte du palais, à l’image qui hante ses rêves, à la gueule des monstres. Et le style du poème est bien abrupt comme les monts et les sites désolés qu’il dépeint ; sonore comme le cor triomphant ; triste et simple comme la mort qui atteint fatalement le héros.

S’il se mêle au poème trop de rudesse primitive, combien de pages, en retour, sont marquées de pensées humaines et profondes ! Comme d’elles, l’émotion jaillit sincère et vibrante, et étreint comme un pur acier. La langue du poète barbare n’a ni harmonie, ni finesses classiques, mais son cœur et son âme mêmes ont parlé par elle, et c’est en cela qu’elle aussi, peut être divine.

La pensée du barde suit, sans relâche Beowulf dans les triomphes de sa vie, dans la gloire de sa mort. Elle s’échauffe aux combats, se perd en méditation résignées sur les vicissitudes du sort, et souffre dans l’incertitude de la victoire. Sur quels défilés inaccessibles n’a-t-elle point plané ? À quels rêves épiques ne s’est-elle point élevée ? Quand le roi victorieux agonise, il semble qu’il emporte dans la mort la pensée suprême de celui qui le chanta, et que le poète a mêlé son sang à celui du héros surhumain.

Tels sont les caractères qui font de Beowulf, en dépit de ses imperfections, un poème d’inspiration géniale : Iliade barbare, où un peuple-enfant pousse son cri de guerre, cependant que sa pensée naissante flotte, encore indécise, en rêveries éparses sur la vie, la mort, et la fatalité.