Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome I.djvu/110

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Alcibiade. — Non, sans doute.

Socrate. — Mais en quel temps as-tu cru l’ignorer ? Réfléchis bien : ce temps-là, tu ne le trouveras pas.

Alcibiade. — En effet, Socrate ; par Zeus, je ne peux le dire.

Socrate. — d Ainsi, tu ne sais pas ces choses pour les avoir trouvées ?

Alcibiade. — Non, je le vois bien.

Socrate. — Or tu viens de dire que tu ne les sais pas non plus pour les avoir apprises. Mais puisque tu ne les as ni trouvées ni apprises, comment les sais-tu et d’où les sais-tu ?

Alcibiade. — Peut-être ai-je eu tort de te répondre que je les savais pour les avoir trouvées par moi-même.

Socrate. — Qu’aurait-il fallu répondre ?

Alcibiade. — Que je les ai apprises, je crois, comme tout le monde.

Socrate. — Alors, nous voici revenus au même point. De qui les as-tu apprises ? Dis-le moi vite.

Alcibiade. — e De tout le monde.

Socrate. — Oh ! ce n’est pas un fameux maître que celui auquel tu te réfères, tout le monde !

Alcibiade. — Eh quoi ? le grand nombre n’est-il pas capable d’enseigner ?

Socrate. — Pas même à jouer au trictrac, en tout cas[1]. Et pourtant c’est là une matière moins délicate que la justice. Ne le penses-tu pas ?

Alcibiade. — Oh ! si.

Socrate. — Ainsi, ceux qui ne savent pas enseigner le plus facile seraient capables d’enseigner le plus difficile ?

Alcibiade. — Pourquoi pas ? Ils sont bien capables d’enseigner quantité de choses plus difficiles que le calcul.

Socrate. — Lesquelles ? je te prie.

Alcibiade. — 111 Eh bien, n’est-ce pas d’eux que j’ai appris à parler grec ? car vraiment je ne saurais dire quel maître me l’a enseigné, et j’en rapporte le mérite précisément à ceux dont tu fais si peu de cas.

  1. Platon fait plusieurs fois allusion au jeu dont il est ici question (Charmidès, 174 b ; Gorgias, 450 d ; Républ., 333 b et 374 c). Bien jouer constituait un art, comme on le voit par le passage du Gorgias, ci-dessus mentionné.