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APOLOGIE DE SOCRATE

l’archonte roi[1]. Elle était formulée à peu près en ces termes : « Socrate est coupable de ne pas reconnaître comme dieux les dieux de la cité et d’en introduire de nouveaux ; il est coupable aussi de corrompre la jeunesse. La peine demandée est la mort[2]. »

La rédaction en était habile. Rien n’était plus propre qu’une accusation d’impiété à faire impression sur le public athénien, et rien n’était plus difficile à réfuter. La religion, pour les Grecs du ve siècle, était l’âme même de la cité. Elle faisait partie de sa constitution ; en elle résidait la garantie de l’existence commune. Chaque cité avait son culte, fondé sur ses traditions propres. Chacune se reconnaissait redevable de sa prospérité, de son salut, à quelques dieux, ses protecteurs attitrés, qui exigeaient d’elle certains hommages rigoureusement déterminés et lui assuraient en retour un patronage efficace. Offenser ces dieux d’une manière quelconque ou leur susciter des rivaux, c’était compromettre la sécurité nationale, ou, en d’autres termes, trahir la république. Le peuple athénien, pénétré de ces idées, profondément attaché aux rites de son culte, se montrait extrêmement défiant à l’égard de quiconque lui paraissait ébranler ces fondements de l’État.

Il est vrai que sa religion ne comportait pas de dogmes à proprement parler. On pourrait croire, par suite, qu’elle devait opposer peu d’obstacles à la libre pensée. Ce serait une erreur. Chaque culte s’appuyait sur une légende, qui était sa raison d’être. Il y avait donc des légendes sacrées, qui ne devaient pas être mises en doute, au moins dans ce qu’elles avaient d’essentiel. Qu’on y introduisît quelques variantes, cela était sans importance, pourvu que le fond du récit subsistât, avec l’esprit dont il s’inspirait. Ce qu’on ne pouvait permettre en aucun cas, c’était que la personnalité d’un dieu national fût niée, ou simplement diminuée d’une manière quelconque.

  1. Platon, Euthyphron, p. 2 a.
  2. C’est la formule donnée par Xénophon, Mémor., I, 1 (cf. Xén., Apol., 10), moins l’énoncé de la peine. Elle se retrouve, à peu de chose près, dans Platon, Apol., p. 24 b, qui toutefois intervertit l’ordre des griefs, probablement à dessein. En fait, l’accusation d’impiété devait précéder l’autre, car elle en était le fondement.