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NOTICE

Or, voilà précisément ce que faisait la philosophie. Les philosophes de la nature, qu’ils le voulussent ou non, tendaient à substituer, dans la conception de l’univers, des forces naturelles, puissances essentiellement impersonnelles, aux vieilles divinités, qui avaient chacune leur nom, leurs attributions, leur histoire. Quelques-uns ne s’en cachaient pas. De là les procès fameux, intentés à plusieurs d’entre eux au cours du ve siècle, et les condamnations qui s’en étaient suivies. Anaxagore, Protagoras, Diagoras, avaient tour à tour excité ces alarmes religieuses et en avaient subi les conséquences. Les poètes de la scène eux-mêmes n’y avaient pas échappé. L’attention publique, excitée par leurs témérités, demeurait toujours en éveil et toujours défiante.

Socrate, il est vrai, professait une philosophie très différente. Il croyait à la personnalité des dieux, à leur bonté, à leur justice, à leur intervention constante dans les choses humaines. Il observait les usages religieux de son pays, participait à son culte. Malgré tout, il se distinguait mal, aux yeux de la foule, des autres philosophes et sophistes. Ne s’occupait-il pas, comme eux, de questions obscures, subtiles, sans intérêt pratique ? ne le voyait-on pas raisonner avec eux, s’entretenir avec ceux qui les fréquentaient ? Une confusion naturelle se faisait dans beaucoup d’esprits entre eux et lui. Rien ne devait paraître plus facile à ses accusateurs que d’en tirer profit. Et ils savaient bien qu’accusé, il aurait grand peine à se justifier. Car, pour le faire, il lui aurait fallu exposer ce qu’il pensait en matière religieuse. Mais, précisément, il ne le pouvait pas. S’il eût découvert à ses juges le fond de sa pensée, il aurait dû leur dire qu’il ne croyait pas aux passions des dieux, à leurs amours, à leurs rivalités mutuelles, en un mot à tout ce qui constituait l’essence même d’une religion anthropomorphique ; n’aurait-il pas ainsi donné raison, devant l’opinion commune, à ceux qui l’accusaient d’athéisme et de mépris envers les dieux nationaux ?

On lui faisait aussi grief d’introduire des dieux nouveaux. Cette partie de l’accusation visait sans doute une croyance toute personnelle, dont il parlait souvent. En maintes occasions, on l’avait entendu se référer à un avertissement divin, qui le prévenait de ne pas faire telle ou telle chose. C’était,